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Pearl Harbor, le tournant stratégique de la guerre

Le dimanche 7 décembre 1941, l’aéronavale japonaise attaque par surprise la base américaine de Pearl Harbor dans le Pacifique. C’est non seulement l’enfer dans l’île paradisiaque d’Hawaï, c’est aussi le moment où les États-Unis entrent officiellement dans la Deuxième Guerre mondiale. La balance des forces penche définitivement du coté des Alliés contre l’Axe.

Si l’on me demande de me battre, je le ferai avec vigueur pendant six mois ou un an, mais je n’ai aucune confiance pour la deuxième ou la troisième année.

Amiral Yamamoto

La montée des tensions États-Unis / Japon

Une guerre entre le Japon et les États-Unis est prévue par les états-majors respectifs au lendemain de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Cette éventualité est envisagée de longue date, mais il s’agit plus d’un concept de Wargame que d’une volonté politique. La domination du Pacifique est l’enjeu de cette rivalité montante. Dans l’entre-deux-guerres, les tensions américano-nippones ne font que monter. Les premières remontent au traité naval de Washington (1922), où les États-Unis créanciers du monde s’ingénient à limiter les forces navales des puissances, dont le Japon. Se voyant limités dans la production de cuirassés, les japonais transforment cette faiblesse en force, surarmant leurs croiseurs, mais surtout en créant al première force aéronavale du monde, alors une nouveauté. La crise économique de 1929, partie des États-Unis, touche cruellement le Japon où elle entraîne une crise politique. Le clan des militaires s’impose par la violence au gouvernement impérial et ne voit de solution que dans les conquêtes territoriales. La conquête progressive de la Chine crée des discordes frontales entre les États-Unis et le Japon. La Chine est alors la proie de la guerre civile entre nationalistes de Tchang Kaï-Chek et communistes. Le Japon qui possède la Corée, veut s’étendre dans la Mandchourie voisine, riche en charbon et en fer, où des sociétés japonaises ont des intérêts, dont la gestion des voies ferrées. L’explosion de la voie ferrée à Moukden le 18 septembre 1931, est présentée comme l’acte de « bandits chinois » qui menacent les sociétés nippones en Mandchourie.

Cette provocation entraîne l’occupation militaire nippone et la création en 1932 de l’État fictif de Mandchoukouo avec l’ex-empereur de Chine comme monarque. La même année, le Japon occupe Shangaï au prétexte de protéger les marchands nippons. En réponse aux protestations occidentales, le Japon quitte la SDN le 27 mars 1933 et dénonce la conférence de Washington le 29 décembre 1934. Le Japon grignote le Nord de la Chine : Jehol et Hopeï (1933), Chahar (1935). L’incident frontalier du 7 juillet 1937, au pont de Marco Polo, dit aussi pont de Papier, près de Pékin, entraîne la guerre avec la Chine et l’occupation des régions côtières.

Le rapprochement du Japon avec les dictatures nazies et fascistes n’est pas bien vu par Washington, mais contrairement à l’invasion de la Chine, ne peut donner lieu à aucune réprobation officielle. L’affaire indochinoise par contre, si. Le 20 juin 1940, le Japon exige de la France vaincue en Europe des bases dans le Tonkin. Il s’y installe à partir du 23 septembre. Le 27 septembre 1940 est signé un Pacte tripartite entre le Japon, l’Allemagne et l’Italie, soit une alliance défensive. Mais cette alliance n’est qu’une façade. Aucun des trois contractants n’avise l’autre de ses projets stratégiques. Ainsi, Hitler n’avertit pas le Japon de son intention d’attaquer l’URSS, qui vainement en novembre 1940 demande à rejoindre l’axe Berlin-Rome-Tokyo. En conséquence, le gouvernement japonais croit à la solidité du pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939. Cet exemple et son échec militaire en Mandchourie contre les soviétique en octobre 1939, poussent le Japon à signer un équivalent nippo-soviétique le 13 avril 1941. Le but est de dissuader une intervention américaine contre un bloc eurasiatique. L’invasion de l’URSS (22 juin 1941) surprend les Japonais, qui promettent à Hitler une aide de 400 000 à 700 000 hommes (qu’Hitler aurait refusée). Par la suite, les Japonais voyant la campagne s’enliser, ne renouvellent plus la promesse, d’autant qu’en janvier 1942, Hitler déclare à l’ambassadeur japonais qu’il ne sait pas comment vaincre l’URSS.

L’alternative stratégique du Japon

La conférence impériale du 2 juillet, en présence de l’empereur Hiro-Hito et du Prince Konoyé, le premier ministre décide d’ « instaurer la sphère de coprospérité de la grande Asie du Sud-Est… sans égard pour les obstacles qu’il pourrait rencontrer ». Le 25 juillet 1941, les États-Unis déclenchent contre le Japon un embargo pétrolier et gèlent ses avoirs. Dans une stratégie concertée, la Grande-Bretagne et le gouvernement néerlandais en exil à Londres font de même. Or le Japon importe 88% de son pétrole. Sommé d’évacuer l’Indochine française, le Japon essaie d’abord de négocier pendant quatre mois avant de décider al guerre.Il ne veut céder sur rien mais demande aux États-Unis de cesser d’envoyer des renforts aux Philippines et de renoncer à l’embargo. L’armée de terre est favorable à la guerre contre les États-Unis car elle sous-estime leur moral et leurs capacités industrielles. La marine est partagée tandis que l’Empereur Hiro Hito fait remarquer qu’incapable de remporter al guerre en Chine, il ne voit pas comment l’armée peut vaincre en même temps les Américains.

Pourtant la guerre est décidée. La stratégie japonaise est de créer une « sphère de coprospérité » dans le Pacifique Ouest et l’Asie du Sud. Les colonies hollandaises, américaines et anglaises, insuffisamment défendues, tomberont facilement. L’objectif est à la fois de s’approprier les champs pétroliers d’Indonésie et de Bornéo ainsi que les ressources naturelles et alimentaires de ces réunions, et de former un glacis stratégique contre l’inévitable contre-attaque américaine. Le 16 octobre, c’est un belliciste, le général Tojo, qui devient Premier ministre. Le 5 novembre, il démontre à l’empereur que les réserves pétrolières ne laissent que dix-huit mois de consommation, alors que pour achever la guerre en Chine trois ans sont encore nécessaires. La guerre est décidée le 15 novembre. Dès lors, les Japonais se préparent à la guerre et leur diplomatie n’est qu’une couverture.

Adolf Hitler meets with the Foreign Minister of Japan Adolf Hitler (right), Yosuke Matsuoka (center) and interpreter Dr. Paul Otto Schmidt (left). Original caption reads:… was received by the Führer on March 27, for a long discussion. His impressions during his stay in Berlin had a considerable impact on the idea to make the Tripartite Pact increasingly strong and effective as a political reality.

Les États-Unis regardent à l’Est

Le 21 octobre 1941, le G2 (direction du renseignement de l’armée de Terre américaine) publie une note sur les ordres de batailles japonais et russe en Sibérie. Les États-Unis pensent alors qu’une guerre russo-japonaise est plus que probable.
« Lorsque l’armée du Kwantung [armée japonaise d’occupation du Mandchoukouo, ex Mandchourie] aura acquis la certitude qu’elle dispose d’une supériorité numérique de deux contre un, il est hautement probable qu’elle prendra l’offensive quelles que soient la politique et les intentions du gouvernement de Tokyo. Lorsque le ratio sera égal ou supérieur à trois contre un, la probabilité deviendra une certitude ».

Pearl Harbor : une attaque préventive à un Blitzkrieg aéronaval

Les états-majors japonais n’ont pas attendu pour préparer un plan de guerre. Dès le 1er janvier, l’armée de terre, sous l’égide du général Tojo, prépare un plan de conquête de l’Asie du Sud-Est. Le même mois, l’amiral Yamamoto, chef de la flotte combinée, prépare le Plan Z pour neutraliser la flotte US du Pacifique par un raid surprise contre Pearl Harbor. Le Plan Z est prêt à la fin août, puis validé par deux Kriegspiele joués du 2 au 13 septembre. La force aéronavale (Kido-Butaï) de l’amiral Naguno possède six porte-avions avec 441 appareils, deux cuirassés, deux croiseurs lourds, un croiseur léger, treize destroyers, huit ravitailleurs, trente sous-marins donc cinq qui transportent cinq sous-marin de poche. La surprise est garante du plan sur Pearl Harbor. Pour cela, il faut traverser la moitié du Pacifique sans être repéré.

La flotte appareille le 26 novembre au prétexte d’un exercice. Nagumo emprunte la route du nord à proximité des îles Kouriles, masqué par les tempêtes dans un silence radio complet. Il parvient à 450 kilomètres au nord d’Hawaï le 7 décembre 1941, à 6 heures du matin. Le plafond nuageux de 2000 mètres et la mer houleuse favorisent l’élément de surprise. Mais, il y a une autre surprise : les deux porte-avions américains, cibles principales de l’attaque, ne sont pas présents ! Ils ont été envoyés dans le Pacifique remplir des missions diverses. On y a vu l’indice de la provocation de Roosevelt, qui s’attendait à l’attaque imminente des Japonais.

Plus par maladresse que de manière intentionnelle, l’attaque commence sans déclaration de guerre préalable. Les deux devaient coïncider pour ne pas laisser aux américains le temps de la riposte, mais ces derniers interceptent le message du Japon à l’ambassade nippone aux États-Unis, et le décodent plus vite ! Ils se savent donc en guerre avant la déclaration officielle.

Par ailleurs, depuis 1938, les services d’écoute US ont cassé le code diplomatique japonais. Les 4 et 9 août 1941 ont été intercepté deux messages précisant que le Japon n’attaquerait pas l’URSS et se préparait à envahir le Pacifique Sud et à une guerre avec les Anglo-Saxons. Les forces armées US savent donc qu’une attaque imminente se prépare, mais n’en connaissent pas la date. Un flot d’informations sur le trafic radio brouille les pistes. Le 6 décembre, à 21 h 30, les mêmes services d’écoute informent le président Roosevelt du message japonais qui signifie la rupture des relations diplomatiques, donc la guerre. Mais le 7 décembre, l’ordre d’alerte s’est dilué dans le calme du dimanche matin de Washington, et la base de Pearl Harbor recevra l’ordre d’alerte deux heures après l’attaque nippone.

Pour le personnel et les civils américains à Pearl Harbor, le désarroi est complet. L’amiral Kimmel, mis à la retraite d’office, tire argument de l’absence des porte-avions pour accuser Roosevelt de provocation et de ne pas l’avoir prévenu de l’attaque japonaise. Entre le 18 décembre 1941 et le 31 mai 1946, pas moins de huit commissions d’enquête blanchissent respectivement Roosevelt et Kimmel, l’un de machiavélisme et l’autre d’incompétence. Faute de porte-avions, et même avec les deux seuls porte-avions du Pacifique, si la flotte US étaient sortie de Pearl Harbor pour s’opposer au groupe aéronaval de Nagumo, elle aurait couru au désastre, comme le fit remarquer l’amiral Nimitz après-guerre.

La réaction des États-Unis : « Jour marqué d’infamie » mais « Germany first ! »

Pour Roosevelt, il faut impérativement détourner le Japon d’une attaque vers l’URSS. Ainsi, les offensives éclairs japonaises contre les possessions britanniques et néerlandaises sont vues comme un mal nécessaire. Cela explique le durcissement des positions de Roosevelt vis-à-vis des Japonais (embargo et gel des crédits) dont le but est de faire réagir le Mikado.

Les pertes américaines sont très limitées à l’échelle de la Deuxième guerre mondiale : 3581 tués, blessés et disparus, 64 avions détruits, 15 navires touchés dont un navire-cible, 3 navires coulés (dont les cuirassés Arizona et Oklahoma). Et ces pertes sont principalement dues à l’explosion de la soute à munitions du cuirassé Arizona qui tue 1 177 hommes sur les 1282 présents. Les stocks d’essence de la Flotte du Pacifique sont intacts . L’opinion US, jusqu’alors pacifiste, est furieuse. Le 8 décembre 1941, Roosevelt réunit le Congrès et annonce que le 7 décembre « sera un jour marqué d’infamie ». Les États-Unis déclarent la guerre au Japon à l’unanimité moins une voix. Ce qui retarde une riposte américaine pour aller dégager les Philippines bientôt attaquées, c’est le fait que les trois quarts de l’US Navy sont déjà dans l’Atlantique pour parer aux agressions des sous-marins allemands malgré la non-belligérance entre les deux pays. Lors de la conférence Arcadia entre Roosevelt et Churchill, les deux alliés définissent les grands traits de la stratégie commune. « Germany first ! », « l’Allemagne d’abord ! » est le premier trait de cette stratégie. Régler la situation en Europe, logistiquement plus proche et où combattent déjà le Royaume-Uni et l’URSS. Comme l’écrivit plus tard Churchill : « Le sort d’Hitler était réglé. Le sort de Mussolini était réglé. Quant aux Japonais, ils allaient être réduits en poussière. Il suffisait d’utiliser de façon adéquate notre supériorité écrasante. »

Pourquoi Hitler déclare-t-il la guerre aux États-Unis ?

On présente la déclaration de guerre allemande du 11 décembre 1941, au mieux comme la fidélité au Pacte tripartite, au pire comme l’exemple de la bêtise hitlérienne en matière de stratégie. Ces deux interprétations sont inexactes. Comme le Japon négocie une neutralité réciproque avec l’URSS, l’Allemagne aurait pu en prendre argument pour faire de même avec les États-Unis. Hitler pense que les États-Unis, comme en 1917, interviendront dans le conflit du coté de l’Angleterre. Ce n’est qu’une question de temps. Les déclarations de Roosevelt, son entrevue avec Churchill dans l’Atlantique, la loi Prêt-bail qui soutient l’effort de guerre anglais, l’aide matérielle promise à Staline dès la fin juin 1941, ne font que démontrer les intentions US. Hitler décide de prendre les devants dans un but stratégique raisonné, mais qui n’est qu’un nouveau coup de poker : lancer la guerre sous-marine à outrance dans l’Atlantique pour étouffer la Grande-Bretagne, avant que le géant américain n’ait le temps de se préparer. De fait, le calcul est dans une certaine mesure payant, car l’année 1942 est celle des triomphes des U-boote dans l’Atlantique. L’état-major de la Kriegsmarine évalue ne ces termes la guerre du Japon et des États-Unis : « L’entrée du Japon dans la guerre contre l’Angleterre et les États-Unis et la déclaration de guerre des puissances européennes de l’Axe aux États-Unis ont modifié de façon fondamentale la situation stratégique générale pour la conduite ultérieure de cette guerre. Avec l’entrée en guerre des deux grandes puissances maritimes Japon et États-Unis et la participation à la guerre de la Chine et de nombreux États d’Amérique centrale qui en résulte, cette guerre a pris une étendue mondiale, à laquelle aucune puissance significative ne pourra échapper. »


Pearl Harbor 1941 - USS Shaw

Ci-contre et en en-tête.

Photo prise par un photographe de la Navy au moment de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor. Ici, l’USS Shaw vient d’être touché. Sachant que les Américains interceptent et décodent leurs messages depuis mai 1941, les Japonais auraient décidé d’inonder les réseaux de messages sur leurs intentions en Malaisie afin de mieux protéger le secret sur Pearl Harbor.


Featuring footage from the U.S. Navy, this newsreel depicts the attack on Pearl Harbor on December 7, 1941.
This footage was filmed during the Japanese attack on the United States naval base at Pearl Harbor, Hawaii, on December 7, 1941. The photographer captured footage of an explosion aboard the USS Arizona.
On December 7, 1941, Fox Movietone News cameraman Al Brick was the one cameraman in the world to capture the Japanese attack on the spot on Pearl Harbor.

Ludothèque

L’attaque sur Pearl Harbor peut se jouer à différentes échelles dans différents wargames. Le jeu SGS Operation Hawaii propose une approche originale, celle d’un What-if, simuler un hypothétique débarquement japonais sur Oahu en parallèle de l’attaque aérienne.