I) Introduction.
Indépendante depuis la fin de l’année 1917, la Finlande devenue libre n’en reste pas moins dans le voisinage d’un État gigantesque : l’URSS. Or, celui-ci l’attaque durant l’hiver 1939-40, et l’emporte avec de grandes difficultés. Si cela ne représente qu’une goutte de sang dans cet océan meurtrier qu’est la Seconde Guerre mondiale, elle ne fut pas sans conséquences pour celui-ci et pour l’histoire de l’Europe au-delà. Nous allons donc voir ici les raisons de cet affrontement peu connu, avant de revenir sur l’intervention étrangère aux côtés de la Finlande et de terminer par les conséquences de celle-ci.
L’entre-deux-guerres
J’ai rappelé en introduction que, profitant de la désagrégation de l’empire des tsars, le pays qui nous intéresse est parvenu à obtenir son indépendance, qui n’est guère remise en cause dans les années de l’entre-deux guerres. Le nouvel état est une démocratie assez nationaliste et anticommuniste, notamment car il se sent menacé par son voisin soviétique et que, encore très jeune, il est en pleine phase d’affirmation. Cela ne l’empêche pas d’être tourné vers la Suède frontalière et de s’inspirer de la France et du Royaume-Uni, tout en ayant des liens culturels certains avec l’Allemagne.
Or, sa crainte de l’État dirigé par Staline est fondée : après une phase de rapprochement jusqu’au milieu des années 30 (un pacte de non-agression est même signé en 1932), le « petit père des peuples » souhaite rectifier les frontières issues de la révolution russe et des conflits qui en ont découlé (guerre avec la Pologne etc.). Si les historiens se divisent encore quant à ses intentions précises, il est admis qu’il craint pour l’ancienne capitale de la Russie et berceau de l’Union Soviétique, Léningrad (ex Saint-Petersbourg). La ville est trop proche des frontières et donc d’une attaque, si la Finlande se trouvait en guerre contre l’URSS ou occupée par une puissance hostile. Même chose dans le grand nord : le port de Mourmansk, vital car libre de glaces toute l’année grâce au Gulf Stream est bien exposé… La suite de la guerre prouva l’importance de ce lieu, dans le cadre des livraisons alliées de matériel en URSS d’ailleurs.
La marche à la guerre
Ainsi, Staline propose des rectifications de frontière aux Finlandais, en 1938 puis 39, contre des concessions. La montée en puissance de l’Allemagne l’inquiète et il ne se satisfait pas de la « simple » neutralité affichée par Helsinki. Pourtant, ces derniers refusent : ils croient la guerre impossible, ont foi dans leurs voisins scandinaves et dans le soutien diplomatique de l’Europe de l’ouest, et de la SDN.
Loin de rassurer le maître du Kremlin, ces réponses le confortent dans son préjugé d’un pays hostile, influencé par Berlin et prêt à menacer le sol soviétique. Il faut bien dire que sa paranoïa naturelle est renforcée par son service de renseignement en Finlande : déplorable et touché par les purges, il lui dit ce qu’il a envie d’entendre. Au final, l’année 1939 se déroule dans un climat tendu entre les deux pays, les négociations diplomatiques traînant en longueur durant des mois.
Peu à peu Staline se persuade de la nécessité d’une guerre, que tous les observateurs s’accordent à voir comme rapide, les deux armées étant de force très disproportionnée sur le papier. Ainsi, des troupes sont peu à peu acheminées sur la future ligne de front, alors que la Finlande mobilise ses soldats de manière préventive, même si elle espère toujours que Leningrad tente une démonstration de force pour la faire plier, comme dans les États baltes qui ont été occupés ainsi quelques mois plus tôt.
C’est pourquoi, la tension semblant redescendre, certaines unités sont rappelées chez elles au cours du mois de novembre. L’hiver approche, le froid d’Europe du nord est déjà là, et la perspective d’une attaque semble s’éloigner… Quand, le 28 novembre, l’URSS dénonce le pacte de non-agression de 1932 et, dès le lendemain, bombarde Helsinki. La guerre débute.
II) Les moyens humains
Avant de revenir sur les moyens matériels et sur quelques projets avortés d’aide à la Finlande, passons en revue les différents groupes d’hommes (et de femmes, voir plus bas) venus aider ce pays lors de sa guerre contre l’URSS.
Des combattants
Si le conflit dont on parle n’attire pas autant de volontaires étrangers que la Guerre d’Espagne (voir plus bas), il est pourtant certain qu’il génère une vague de sympathie dans de nombreux pays, pour des motifs divers. Ainsi, des descendants de Finlandais partis à l’étranger souhaitent aider leur pays d’origine, d’autres sont attirés par le goût de l’aventure, et on note aussi des anticommunistes désireux de faire le coup de feu contre les Soviétiques. Par exemple, plus de 5000 Italiens se portent volontaires pour s’engager du côté des agressés. Toutefois, à cause de la difficulté de se rendre en Finlande, du caractère court de la guerre (novembre 39 – mars 40) et de divers freins politiques et diplomatiques, ces groupes là ne voient pas le feu. Certains hommes venus de pays comme le Royaume-Uni et effectivement parvenus en Finlande eurent d’ailleurs des difficultés à en repartir, une bonne partie de l’Europe s’étant embrasée entre-temps.
Ce n’est pas le cas des Suédois et Norvégiens du Svenska Frivilligkåren. Fortes de leur proximité géographique et culturelle, la Norvège et la Suède voient en effet se constituer une brigade de volontaires à destination de la Finlande. Le gouvernement de Stockholm laisse faire, et des officiers de l’armée suédoise encadrent même cette unité de plusieurs milliers d’hommes au final, et qui va se battre sur le Front de Laponie, dans des conditions difficiles. Ainsi, plus d’une centaine d’homme fut gelée et les pertes, blessés et tués, s’élèvent à 80 soldats environ. Pour un engagement limité dans le temps, ce ne sont pas des chiffres négligeables. Là encore, cela ne permet évidemment pas de faire la différence, et ces troupes ne se battirent que dans les derniers moments de la guerre.
Des conseillers et la formation de comités
A côté, des pays déjà en guerre comme la France envoient des conseillers militaires en Finlande, ainsi que du matériel, comme nous le verrons. Ainsi, sur le sol finlandais, on trouve des techniciens britanniques, français et italiens, bientôt ennemis, qui assemblent des avions destinés aux Finlandais !
La République française, pour y revenir, envoie un certain nombre d’officiers appartenant à différentes armes et qui se rendent auprès du maréchal Mannerheim, âme de la résistance finlandaise. On parle là de plusieurs dizaines d’hommes qui vont aider à l’utilisation des pièces d’artillerie, des avions. Ailleurs, certains forment même ceux qu’ils sont venus aider depuis Stockholm, où une mission de près de 60 hommes s’est rendue à cet effet. Le Royaume-Uni n’est pas en reste et forme un comité destiné à rassembler des fonds et des volontaires.
Enfin, dans toute l’Europe des structures surgissent et parviennent à réunir de l’argent et du matériel (tout ne parvient pas à destination d’ailleurs), dont le Comité France-Finlande, l’un des plus actifs. Ce dernier parvient même à créer une petite unité de camions destinés à une utilisation sanitaire, et conduits par des infirmières de l’armée française, aidées de deux médecins. Malgré des difficultés et un escroc qui détourna les moyens, elles œuvrèrent à l’hôpital militaire d’Helsinki avec un grand professionnalisme. Petite page méconnue, mais très intéressante de l’histoire des femmes sous l’uniforme.
II) Le matériel
Après avoir vu les volontaires et missions militaires partis en Finlande, j’aimerais à présent revenir sur le matériel étranger qui fut livré à ce pays pour l’aider dans sa guerre contre l’URSS. Avant tout, je rappellerai que l’industrie nationale finlandaise produit de bonnes armes comme le pistolet-mitrailleur KP-31 ou une version locale du fusil Mosin-Nagant, mais elle ne peut évidemment rivaliser en quantité avec celle de son agresseur.
Le soutien décisif des Suédois
On l’a vu, la Suède, malgré sa politique de neutralité, est l’un des pays qui soutient le plus directement la Finlande. Or, son aide ne se limite pas à des hommes, mais également à du matériel. On parle de 84 000 fusils, 455 mitrailleuses, près de 300 pièces d’artillerie de tous types et même une trentaine d’avions. Une bonne partie est achetée et la proximité géographique des deux pays facilite le transport de ces armes, même si le rude climat oblige à recourir à des brises-glaces et même des routes de fortune sur la mer gelée du golfe de Bothnie.
Pays connu pour la qualité de ses armes, la Suède livre là certaines productions excellentes, comme le canon antichar Bofors du modèle 1937 ou la version antiaérienne du même constructeur et du calibre 40mm, ainsi que d’autres modèles. Évidemment, cela n’est qu’un appoint (quoique très conséquent), qui complique d’ailleurs sérieusement les problèmes logistiques de la Finlande.
Une aide venant du monde entier
En effet, l’armée finlandaise utilise du matériel venu du monde entier, ce qui devient très vite un vrai casse-tête pour ce qui est de l’intendance. Outre ses propres productions, on retrouve ainsi des équipements soviétiques capturés, ainsi que des achats faits dans divers pays dans les années 20 et 30, et même des stocks allemands de la Première Guerre mondiale, récupérés à l’issue de l’indépendance (casques, mitrailleuses…).
De plus, certains pays envoient des armes et du matériel sciemment en Finlande, pour lutter contre le communisme par États interposés. C’est le cas de l’Italie et, outre les avions (des Fiat) que j’ai déjà pu citer, on retrouve des pistolets Beretta dans ce conflit, et même des casques d’acier, etc. ! Côté français, des appareils du constructeur Morane-Saulnier sont expédiés, ainsi que de l’artillerie qui manque cruellement à la Finlande. Avec eux, les équipes techniques pour former les Finlandais à leur utilisation.
Les matériels les plus anciens sont relégués à l’arrière ou à la défense côtière, mais certains modèles récents et de bonne qualité ont pu se retrouver sur le front comme le matériel suédois déjà cité, ainsi que des fusils-mitrailleurs français FM 24-29 de la manufacture de Châtellerault, mais en petit nombre.
Bien sûr, il est impossible là de faire la liste complète des modèles employés, tant ils sont nombreux et de provenance très diverse : des fusils Arisaka japonais ont même été vus…
III/ Fantaisistes projets alliés
Terminons ce dossier consacré à la guerre d’Hiver en passant en revue quelques plans alliés concernant la Finlande et qui, avec le recul, semblent manquer singulièrement de réalisme.
Un intérêt soudain pour le Grand Nord
La première chose à noter est que la guerre finno-soviétique fait naître un intérêt soudain et puissant dans les démocraties occidentales, alors que cette région d’Europe était jusque-là peu connue de l’opinion publique, et même d’une bonne partie des décideurs. Les raisons sont multiples, mais on peut dégager la suivante : en pleine inaction de la Drôle de Guerre, certains responsables politiques et militaires français et britanniques souhaitent agir sur des fronts dits « périphériques », notamment car les opinions publiques réclament des actions militaires. De plus, le courage avec lequel le pays se défend n’est pas sans impressionner : on a d’ailleurs vu que de nombreux comités de soutien à la Finlande naquirent dans ces mois où les armes restèrent au pied sur le front ouest.
Parmi ces personnes intéressées par une action de diversion en Scandinavie, on peut citer rien de moins que Churchill, pas encore premier ministre, mais aussi Daladier, le président du Conseil français. Le premier lord de l’amirauté est connu pour vouloir frapper où on ne l’attend pas forcément (et va garder un intérêt pour le secteur tout au long de la guerre); quant au « taureau du Vaucluse », il a peur que l’armée ne s’enlise dans un quotidien monotone. Lui aussi pense à affaiblir l’Allemagne indirectement, en frappant les endroits d’où elle tire certaines ressources (ce qui va déboucher sur l’expédition de Norvège). De plus, une fraction de son cabinet est loin de porter l’URSS dans son cœur et désire l’affaiblir. Dès le début les buts sont donc flous et, on va le voir, les projets manquent singulièrement de réalisme.
Vidéo de l’ECPAD sur le débarquement en Norvège
Des projets peu réalistes
Ainsi, malgré une grande indécision, des opinions contraires et résistances multiples, les cabinets alliés parlent sérieusement d’intervenir en Laponie, opération qui pourrait être couplée avec une action aérienne contre les champs de pétrole soviétiques du Caucase, depuis les aérodromes du mandat français de Syrie ! N’importe qui regardant une carte se rend évidemment compte des risques et des distances très grandes… C’est d’ailleurs ce que font remarquer quelques militaires français, dont Gamelin lui-même, qui retardent cette volonté politique qui apparaît difficilement réalisable. De plus, on imagine bien les conséquences d’une action directe contre l’Union soviétique.
Ainsi, le désordre est très grand, alimenté par les Finlandais eux-mêmes qui essaient de provoquer une intervention alliée à leurs côtés. Par le biais de l’ambassadeur américain en France, la SDN est même impliquée dans l’affaire et finit par condamner l’URSS le 10 décembre 1939. Bien sûr, ses moyens sont limités et l’organisation n’a pas su régler efficacement les problèmes des années 20 et 30. Dans les mois qui suivent d’autres projets sont encore évoqués mais paraissent encore très mal définis. Des questions insolubles continuent à se poster : comment aider la Finlande si excentrée tout en ne voulant pas rompre directement avec l’URSS ? Quant à certains projets de débarquement : comment les réaliser sans l’accord des pays concernés ? Etc.
Finalement, la paix en mars 1940 détourne les moyens péniblement rassemblés, et va amener Londres et Paris à les détourner sur la Norvège, envahie par les Allemands le mois suivant. Là encore l’impréparation et l’improvisation furent presque totales.
Liens utiles
Bibliographie
Livres consultés (bibliographie qui n’a donc pas pour but d’être exhaustive). Une très bonne synthèse en français sur la question : CLERC (Louis), La guerre russo-finlandaise (novembre 1939-mars 1940), Paris, Economica, 2015, 209 p.
Et un bon fascicule Osprey, qui couvre le matériel plus spécifiquement et va jusqu’en 1945 : JOWETT (Philip) et SNODGRASS (Brent), Finland at war. 1939-45, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Elite », 2006, 64 p.
Ludothèque
La guerre d’Hiver est un sujet abordé par différents wargames. Voyez à ce propos cette rubrique dans la Gazette du wargamer.
Sur PC vous trouverez par exemple ce thème jouable au niveau tactique dans les séries Panzer Corps (voir ce récit de partie), Squad Battles (voir ce test) et Order of Battle (voir ce test et cet AAR), et dans son ensemble à l’échelle stratégique avec le récent jeu SGS Winter War.
Remarque : nouvel article, inédit dans Axe & Alliés.