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L’impérialisme japonais

Les nippons ouvrent la Seconde Guerre mondiale

Notre vision « eurocentriste » de l’Histoire nous fait oublier que la Seconde Guerre mondiale débute dans le sud-est asiatique. Dans cette zone du monde, l’affrontement larvé puis ouvert est l’occasion pour le Japon et les États-Unis de se lancer dans la course à la domination du Pacifique.

Le lent réveil

Du XVIIe au XIXe siècle, le Japon vit à l’heure féodale. Contrairement aux pays occidentaux, la société nippone reste ancrée dans le Moyen Âge, au temps des samouraïs. Économiquement, le Japon vit en vase clôt et reste fermé au commerce extérieur.

En 1854 un premier événement bouleverse cet ordre établi. Grâce à l’envoi d’une escadre fortement armée, les États-Unis forcent l’empire japonais à ouvrir ses ports aux marchands américains. Contraints d’obtempérer, les Japonais signent le 21 mars 1854 le traité de Kanagawa.

Face aux Américains et aux Européens qui étendent toujours plus leurs influences dans cette région du monde, le Japon trouve les moyens de sa puissance et de son indépendance grâce à la vision éclairée de son empereur Mutsu Hito (1867-1912) qui lance son pays dans l’ère industrielle. Les Japonais se dotent d’infrastructures et améliorent leurs lignes de communication. Nonobstant, cette transformation « brutale » de la société nippone se heurte au monde traditionnel et l’abolition de la féodalité amène une courte guerre civile (1869). Pourtant l’ère Meiji (gouvernement éclairé) est marquée par l’industrialisation massive du Japon mais aussi par la naissance d’une administration compétente. En outre, le Japon se dote d’une armée de Terre modernisée sur le modèle français et d’une flotte de combat rénovée sur le modèle de la Royal Navy.

La période est également marquée par une politique extérieure active qui sort le Japon de son isolationnisme. En 1875, il obtient les îles Kouriles en échange de droits accordés aux Russes sur l’île de Sakhaline. En terme de politique extérieure, la Russie s’impose déjà comme un concurrent direct.

Les velléités coloniales japonaises

L’accroissement rapide de la puissance industrielle et militaire japonaise fait prendre conscience aux dirigeants autant qu’à l’empereur du pouvoir de rayonnement politique et culturel de leur pays à travers la zone pacifique. La pression exercée par les Occidentaux très présents dans la région augmente les velléités coloniales nippones. Bien qu’insulaires, les Japonais tournent leur regard vers la Chine.

L’empire du milieu n’est plus la puissance d’antan. Arriéré technologiquement et divisé politiquement, la Chine est une proie toute désignée. Le premier contact a lieu en 1894-1895 lorsque la flotte japonaise impose le traité de Shimonoseki qui force la Chine à lui céder Formose, les îles Pescadores et Liao-Toung. Cette nouvelle situation bouscule les intérêts occidentaux et inquiète au plus haut point Français et Allemands. Décidés à rééquilibrer le rapport des forces, la France et l’Allemagne s’unissent, contre toute attente, et forcent le Japon en 1898 à céder Liao-Toung à la Russie qui installe une flotte de guerre à Port-Arthur.

Fort d’une flotte de combat renouvelée depuis quelques années et préfigurant l’attaque de Pearl Harbor, le Japon lance une première attaque les 8 et 9 février 1904 contre la Russie et coule plusieurs de ses navires. Il réédite l’assaut lors de la bataille de Tsushima les 27 et 28 mai 1905 et inflige une cruelle défaite aux Russes, s’imposant comme une grande puissance moderne. Cette réussite pousse le Japon à affirmer ses prétentions.

En 1910, les Japonais annexent la Corée qui était déjà un protectorat (bataille de Pyongyang, 1894), se positionnant en vue d’une future conquête de la Chine. Mais alors que beaucoup de Japonais restent tournés vers la Chine, déjà un clan émerge et fixe la priorité contre les États-Unis présents aux Philippines (1898).

La Première Guerre mondiale jette le Japon dans le camp de l’Entente. Cherchant à défendre les intérêts alliés, les Japonais attaquent la concession de Tsing-Tao et profitent de l’occasion pour prendre pied en Chine.

En 1915, le Japon tente d’imposer un protectorat à la Chine mais est immédiatement stoppé par les États-Unis qui lui imposent la signature du traité de Washington (novembre 1921 – février 1922) dont les clauses prévoient un désarmement naval progressif. De plus, il doit évacuer Tsing-Tao, le sud de la Mandchourie et la Sibérie orientale conquise alors que la Russie était en proie à la révolution bolchevique.

Montée en puissance de l’armée

Durant les années de l’entre-deux-guerres, l’économie japonaise se fragilise et marque le pas. Le déficit commercial est important avec la multiplication des achats de biens d’équipement. L’augmentation rapide de la population (30 millions en 1867 mais 72 millions en 1937) pose le problème de la nourriture et des matières premières. Dès lors, le Japon voit dans les conquêtes le seul moyen d’endiguer la crise.

Parallèlement, les années 1920 sont une ère d’occidentalisation intense de la société nippone. Le pays s’ouvre à la mode européenne et déploie de grands efforts pour se moderniser, notamment en matière d’électrification.

En 1926, Hiro-Hito monte sur le trône et ouvre, selon le terme officiel, l’ère Showa (Paix rayonnante) qui va en réalité plonger le Japon dans quatre années de guerre totale. Personnalité complexe, Hiro-Hito est un empereur divinisé qui ne croit guère aux origines de son ascendance. La déification est le moyen de contrôler le peuple et de maintenir le faste et le rituel. Son voyage en Angleterre est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur son rôle de monarque. C’est notamment le roi Georges V qui lui enseigne l’exercice du pouvoir dans l’ombre des partis politiques. Conciliateur entre la vie politique représentative et la maison impériale et militaire, Hiro-Hito sous-estime pourtant l’armée.

Si la société hésite entre la modernisation et son attachement profond aux valeurs traditionnelles, le cœur du conservatisme est dans l’armée. Comme les pays occidentaux, le Japon est frappé par la crise mondiale de 1929 qui bloque les échanges internationaux. L’armée se rapproche de la grande industrie et les deux forces élaborent une politique commune de redressement du pays. Les conquêtes militaires à la charge de l’armée doivent fournir les grandes industries en matières premières. L’influence de l’armée s’accroît et les ministères de la guerre et de la marine sont confiés à des officiers d’active. La grande industrie, la vie politique et les décisions ministérielles sont ainsi cadenassées par l’armée.

Profondément marquée par la mystique guerrière qui puise sa source dans le Zen et l’esprit de sacrifice, la société nippone avec en avant-garde les jeunes officiers de l’armée développe durant ces années un anti-occidentalisme très virulent. Une faction de jeunes officiers antiparlementaires lance en 1931 un putsch qui avorte, mais qui révèle à un Japon admiratif l’existence de groupes traditionnels et violents. Plusieurs assassinats sont commis contre des ministres jugés trop faibles, comme les premiers ministres Osashi en 1930 et Kaï, qui s’étaient déclarés contre l’invasion de la Mandchourie. Un deuxième putsch est tenté en 1936. Bien que mis en échec, l’acte met en lumière la faillite du système japonais et offre à l’armée l’opportunité de prendre le pouvoir sous couvert de rétablissement de l’ordre.

En 1936, le gouvernement lance une grande politique nippone : « Principes fondamentaux de la politique nationale ». Ce programme très offensif prévoit notamment le réarmement de la marine et de l’armée qui promettent à leur empereur de nouvelles conquêtes.

Une proie facile : la Chine

Pour le Japon, la Chine est une proie facile et son rêve d’expansion le plus réaliste. Déchirée par la guerre civile depuis 1925 qui oppose nationalistes et communistes, le pays est marqué par la déliquescence du pouvoir et le règne sanglant des seigneurs de la guerre. Déjà maître de la Corée, le Japon se lance à l’assaut de la Mandchourie voisine pour s’emparer de ses richesses minières (charbon et fer).

Mais l’agressivité déployée place les Japonais dans une situation délicate. Au Nord, la puissante URSS forme un glacis solide. Au Sud, outre les puissances coloniales européennes certes affaiblies sur la scène internationale, la forte présence américaine fait peser la menace d’une intervention ou au mieux d’un blocus.

Le Japon se lance dans la guerre grâce à l’intervention de ses services secrets, qui mènent une opération de sabotage des voies ferrées en Mandchourie (18 septembre 1931). Cet « incident », mis sur le dos des Chinois, permet aux Japonais d’occuper militairement la Mandchourie. Cet incident est toutefois révélateur des relations qu’entretiennent l’armée et l’empereur. Hiro-Hito déclare qu’il soutient son armée tant que les opérations sont victorieuses. Il fixe la limite de l’avancée à la Grande muraille afin de jauger les réactions américaines et soviétiques. L’empereur est pourtant convaincu du bien fondé de l’expédition pour des raisons essentiellement économiques. A partir de cette date, il ne s’oppose plus à son armée.

En 1932, le Japon créé un État fictif en Mandchourie qui est rebaptisée Mandchoukouo et place à sa tête le dernier empereur, Pu-Yi, en réalité un « souverain » fantoche. Mais le Japon ne s’arrête pas là et du 28 janvier au 5 mai 1932, suite à une série d’accrochages, l’armée impériale occupe Shanghai. Le Mandchoukouo devient une colonie de peuplement et accueille un million de civils. La politique japonaise y est extrêmement dure à l’égard d’une population chinoise considérée comme sans valeur.

La SDN proteste « énergiquement » et enjoint le Japon de stopper sa politique agressive en Mandchourie. Cet incident, considéré comme une véritable humiliation, pousse l’empereur, qui menait jusque là une politique d’assouplissement avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, à se rapprocher de plus en plus du clan nationaliste. Le 27 mars 1933, le Japon quitte la SDN.

Prétextant une lutte implacable contre les « bandits » chinois, le Japon grignote la Chine et se dirige vers Pékin (1933-1935). Le 7 juillet 1937 suite à un incident de frontière durant lequel un soldat japonais disparaît dans des conditions mal élucidées, la Chine est totalement envahie. Cette guerre, nullement souhaitée par le gouvernement japonais, est bien l’œuvre de l’armée impériale dont l’influence sur l’empereur est dorénavant totale.

Impuissants, les politiques nippons assistent aux méthodes expéditives de l’armée lors du massacre de Nankin où 100 000 civils sont massacrés au sabre et à la baïonnette (13 décembre 1937) et où l’armée pratique les fameux « Trois-Tout » : tout brûler, tout massacrer et tout piller. Hiro-Hito appuie la conquête et couvre les exactions de son armée. Il ferme également les yeux lorsque les militaires, soucieux de démontrer aux occidentaux qu’ils ne sont pas les bienvenus en terre asiatique, font torpiller le navire américain Panay sur le Yang-Tse (décembre 1937).

C’est aussi à cette période que les Japonais lance leur fameux « Manifeste pour un nouvel ordre en Asie orientale » qui préfigure leur politique offensive contre les Américains.

Face à la brutalité japonaise, la Chine résistante s’organise. Le 27 septembre 1937, Chiang Kaï Chek et Mao Tsé-Toung qui représente le clan communiste, négocient une union. Dès lors, le Japon s’enlise dans une guérilla qui engloutira 70% de ses forces terrestres.

Le Mikado crée l’axe Tokyo-Berlin

En 1936, le Japon et l’Allemagne signent un pacte anti-komintern qui définit une alliance basée sur l’anticommunisme. Mais les déconvenues militaires japonaises, suite à l’accrochage de Nomonham (1939), durant lequel les Japonais qui avaient tenté une percée dans le protectorat soviétique de Mongolie sont écrasés, changent la donne.

La doctrine nippone est basée sur une action tous azimuts en Chine, mais la montée en puissance de l’URSS et de l’Allemagne, qui se sont assurés par le pacte de 1939 une aide réciproque, et la pression exercée par les États-Unis, obligent le Japon à sortir du « cadre chinois » pour une politique mondiale. Pour autant, le Mikado souhaite garder le contact avec les Américains et se prononce contre une alliance avec l’Allemagne. Pour Hiro-Hito c’est bien la politique de la Chine d’abord qui prime. Paradoxalement, ce sont les victoires éclairs de son allié nazi en Europe de l’Ouest qui ouvrent de belles perspectives au Japon, alors que les colonies européennes sortent affaiblies de la première année de guerre.

Contrairement à son Mikado, l’armée est favorable à une alliance avec le Reich, qu’elle parvient à sceller en septembre 1940 avec le pacte tripartite. Les militaires sous la conduite du général Tojo tentent de convaincre l’empereur de la nécessité d’attaquer les États-Unis, puis l’URSS.

Hiro-Hito reste attentiste en Mandchourie. Son but n’est pas de soutenir Hitler dans sa lutte en Russie, mais d’être prêt à prendre la Sibérie. Il est soutenu par la majorité des officiers échaudés par la défaite de 1939 face aux Russes. Repoussant l’offre de Ribbentrop qui souhaite la jonction des forces japonaises et allemandes au cœur de la Russie, l’empereur décide de donner la priorité à la marine et signe un accord de neutralité avec Moscou. A la charnière des années 1930-1940, ce sont les États-Unis qui se dessinent comme la prochaine cible stratégique nippone.


Tojo le belliciste

Hideki Tojo

Issu d’une famille de samouraïs et élevé par un père général d’armées, Tojo Hideki (1884-1948) se dirige très tôt vers la carrière des armes et entre à l’école de guerre. Il participe à la campagne de Mandchourie en 1931.

Très imprégné des thèses ultranationalistes, il soutient l’idée d’une domination japonaise dans tout le sud-est asiatique. Antiparlementaire virulent, il favorise la dissolution des partis. Le général Tojo Hideki est nommé ministre de la Guerre le 2 juin 1940, puis Premier ministre le 16 octobre 1941.

Il est véritablement l’âme et le chef du parti belliciste. Antidémocrate, anticommuniste et anti-occidental, il pousse au pacte anti-komintern puis au pacte tripartite (Allemagne, Japon, Italie). S’imposant de plus en plus dans la stratégie nippone mais largement influencé par les groupes de pression issus de l’armée, il réoriente les buts militaires en déplaçant l’axe d’efforts du Nord (Chine) au Sud. Favorable à un impérialisme total, Tojo se rallie aux plans de guerre contre les États-Unis contre l’avis de certains stratèges moins marqués par leur conviction (Yamamoto).

Le pacte tripartite : naissance des forces de l’Axe

Le 27 septembre 1940, le Japon, l’Allemagne et l’Italie signent à Berlin le pacte tripartite portant sur une alliance militaire défensive et fondant officiellement les forces de l’Axe.

Ce pacte fait suite au traité anti-komintern signé en 1936. Par cette nouvelle alliance à trois, les forces de l’Axe s’engagent à coopérer pour établir un nouvel ordre mondial. Chaque partie reconnaît explicitement les sphères d’influence des signataires (articles 1 et 2) qui s’engagent à aider leurs partenaires et alliés militairement, économiquement et politiquement en cas d’agression d’un pays qui ne serait pas encore engagé dans le conflit à l’exception de l’URSS (article 3).

Ludothèque

L’expansion impérialiste japonaise a été traitée dans de nombreux wargames. Un récent nouveau titre permet de simuler sur PC la guerre du Pacifique, de 1941 à 1945, voyez à ce sujet dans la Gazette du wargamer l’article WarPlan Pacific : la guerre, les pieds dans l’eau !